Le littoral de Saint-Briac est-il réellement protégé ?

Environnement

16 septembre 2019

Au vu des faits décrits ci-après, il est permis d’en douter sérieusement. La prochaine décision de justice, attendue pour début octobre, permettra de conclure dans un sens ou dans l’autre.

La pointe de la Haye et la plage du Port-aux-Chevaux, constituent l’un des paysages les plus remarquables de la commune de Saint-Briac, qu’on le contemple en regardant vers la mer depuis le sentier du littoral, où l’horizon se découvre derrière une succession de rochers et d’îles (île du Perron, île des Ebihens, île Agot, rochers de la Moulière, des Haches, des Herplux, à marée haute ou basse) jusqu’au fort de La Latte et au cap Fréhel, ou que l’on regarde la côte depuis la mer en arrivant du nord-est ou de l’ouest.

Ce site exceptionnel a connu un commencement d’urbanisation au début du XXe siècle : trois villas y ont été construites dont deux très présentes dans le paysage, vu du côté de la plage du Port-aux-Chevaux, la troisième, plus discrète mais bien visible depuis le nord-est.

Le golf a protégé le site de l’extension de cette urbanisation jusqu’à ce que la loi de 1930 sur la protection des sites et, surtout, la loi du 2 janvier 1986, dite « loi littoral », restreignent puis interdisent toute extension des constructions. Le site est aujourd’hui soumis aux règles suivantes (dites « servitudes d’urbanisme ») :

  • site inscrit (articles L. 341-1 et s. du code de l’environnement) ;
  • loi littoral : espace remarquable du littoral (article L. 146-6 du code de l’urbanisme) ;
  • loi littoral : inconstructibilité de la bande des 100 mètres (article L. 146-4 III du code de l’urbanisme).

Il en résulte que toute création de surface habitable supplémentaire y est interdite et que tous travaux de démolition ou de modification de l’aspect extérieur réalisés sur un bâtiment existant requièrent l’avis préalable de l’architecte des bâtiments de France (ABF).

(Les références des textes indiquées sont celles en vigueur lors des faits, principe général en matière d’urbanisme ; la codification a changé depuis mais les règles de fond demeurent.)

Photo n° 1 état de la maison du temps de la précédente propriétaire, antérieurement aux travaux entrepris par la SCI La Batterie en 2011

Photo n° 1 : état de la maison du temps de la précédente propriétaire, antérieurement aux travaux entrepris par la SCI La Batterie en 2011

En 2009, la villa « La Batterie » (dont le terrain couvre la position d’une ancienne batterie de défense de la côte), l’une des deux dominant visuellement le site au bord du rivage, a changé de propriétaire. Le nouveau propriétaire est la SCI La Batterie dont le gérant est architecte-urbaniste et donc au fait des règles applicables en matière de construction. Il a néanmoins fait appel à un architecte connu dans la région, pour concevoir les travaux de mise au goût du jour de cette maison.

Après des hésitations sur l’autorisation d’urbanisme à solliciter (plusieurs demandes suivies de retraits), le propriétaire a déposé à la mairie de Saint-Briac, le 17 mars 2010, une déclaration préalable de travaux. Cette formalité légère est réservée aux travaux mineurs de modification d’aspect et soumise à simple avis de « non opposition préalable » de la commune et à éventuelles prescriptions de l’architecte des bâtiments de France (en raison du site inscrit, en l’espèce). La déclaration préalable n’annonçait en effet que des travaux mineurs de rénovation de la maison existante, sans changement de surface, évidemment, ni démolition-reconstruction. Quelques lucarnes nouvelles étaient prévues mais, dans son avis, l’ABF imposait des prescriptions relatives, notamment, aux proportions de celles-ci, « en raison des grandes qualités architecturales du bâtiment », prescriptions reprises dans l’arrêté municipal de non opposition.

L’arrêté municipal de non-opposition à déclaration préalable a été pris le 24 mars suivant (2010).

Photo n° 2 prise fin décembre 1999 juste après la tempête qui a frappé la région

Photo n° 2, prise fin décembre 1999 (juste après la tempête qui a frappé la région) : à gauche, au second plan, l’on aperçoit la villa « La Batterie », le mur de soutènement et la balustrade qui le surplombe (observer son niveau par rapport aux constructions situées à côté et remarquer le mur ancien, percé d’une porte, qui longe la villa « Les Terrasses », en premier plan).

Or, tout en affichant sur place un permis de construire inexistant, ce sont des travaux d’une tout autre ampleur qui ont été entrepris par le propriétaire, consistant en la refonte complète de cette maison : démolition-reconstruction de murs, agrandissement des ouvertures, enlèvement et reconstruction de la toiture avec de nouvelles fenêtres de toit, extension et création de balcons et terrasses, et extension de la surface habitable par excavation du terrain, le long de la façade au nord-est et, surtout, en prolongement du pignon au sud-est (cf. photos n° 3 et n° 4).
L’emprise visuelle de la construction sur le paysage s’en trouve sensiblement augmentée, revenant à une appropriation illégitime de celui-ci par ce propriétaire jouissant pourtant lui-même de la protection du panorama magnifique qui s’offre à lui. On peut imaginer qu’il espère, pour sa part, bénéficier durablement d’une protection absolue de la vue dont jouit sa propriété…
Alertée par l’une des deux propriétaires voisines, l’administration de l’Etat chargée de l’urbanisme (direction des territoires et de la mer d’Ille-et-Vilaine – délégation à la mer et au littoral), accompagnée de l’adjoint au maire chargé de l’urbanisme, a dressé en juin 2012 procès-verbal des irrégularités relevées. Le constat est rigoureux et précis sauf sur un point très important : la création des nouvelles surfaces habitables en rez-de-chaussée, au sud-ouest, avec décroché vers la mer et élévation du niveau de la terrasse couvrant ces nouveaux espaces.
Ces travaux qui élargissent l’emprise visuelle de la construction, ont consisté à creuser le sol dans le prolongement de la façade sud-ouest pour dégager un volume habitable significatif (de l’ordre de 45 m², selon le procès-verbal) et à remplacer un mur de 1,60 m à 1,80 m environ qui retenait la terre, par un mur neuf de 2,60 m environ, avancé par rapport à la façade, percé de fenêtres et d’une porte-fenêtre, puis à recouvrir le tout d’une terrasse étanche surélevée par rapport au niveau antérieur. A la différence des sujets d’ordre seulement esthétique, cette infraction est objective et ne peut pas être « régularisée » puisque l’extension de surface habitable est interdite.
Or, le procès-verbal de constat limite l’infraction au percement d’ouvertures dans le mur. Il qualifie celui-ci d’ancien, du seul fait que le mur de soutènement antérieur était présenté dans la déclaration de travaux déposée par le propriétaire et que le mur neuf a été réalisé de manière traditionnelle… Il était pourtant aisé de voir qu’il était tout récent (cf. photo n° 4). Selon le procès-verbal, la création d’espaces habitables à cet endroit ne reposerait plus que sur le percement d’ouvertures, et la terrasse ne serait qu’un simple aménagement d’ouvrage préexistant, les espaces excavés en arrière étant même supposés présents avant les travaux sous la forme de citernes que personne n’a vues, en contradiction avec les plans antérieurs de la maison, avec les témoignages de la famille de l’ancienne propriétaire et sans qu’aucune photo ait pu en être prise pendant les travaux au cours desquelles elles auraient été découvertes, du simple fait que leur présence serait plausible par déduction, selon un expert judiciaire (!).

Photo n° 3 prise le 26 novembre 2011 pendant les travaux

Photo n° 3 prise le 26 novembre 2011, pendant les travaux (l’on est loin de quelques modifications mineures relevant d’une simple déclaration préalable…).

Photo n° 4 prise le 4 octobre 2011

Photo n° 4 prise le 4 octobre 2011 : excavation et construction du mur de façade des espaces habitables nouveaux

Le procès-verbal a éludé le fait en indiquant que les descriptions antérieures de ce mur manquaient et que le propriétaire déclarait qu’il n’avait pas créé de nouvelle surface habitable. L’administration n’a pas été bien curieuse. Le nom de l’architecte prestataire, connu pour s’accommoder avec les limites constructives, par excavation notamment, aurait dû lui mettre la puce à l’oreille, à moins qu’elle ait compris et n’ait pas voulu voir…

D’ailleurs, par la suite, dans le prolongement des travaux sur la villa La Batterie et sur ses abords, le mur ancien qui longe la propriété voisine (villa Les Terrasses), située au sud-est, d’une hauteur approximative de 2,50 m, a été surélevé d’environ 80 cm (ce que le PLU ne permet d’ailleurs pas), sans autorisation d’urbanisme alors que ces travaux relèvent, aussi, à tout le moins, d’une déclaration préalable et de l’avis de l’ABF. A l’évidence, ce rehaussement s’est révélé nécessaire pour protéger cette propriété voisine de la nouvelle vue surplombante depuis la terrasse surélevée et décalée vers l’avant de la Batterie. Ce faisant, l’emprise visuelle de ce mur a, à son tour, été augmentée au détriment du paysage vu depuis le sentier du littoral et la plage.

Malgré la gravité des infractions constatées, ni le maire de l’époque – alerté par le signataire de cette note – qui considérait que l’affaire relevait seulement du conflit de voisinage, ni l’Etat – le sous-préfet de Saint-Malo, rencontré à plusieurs reprises, était soucieux de ne pas nuire à la notoriété de l’architecte prestataire – ne se sont décidés, soit à exiger fermement l’interruption des travaux et la remise en conformité du bâtiment, soit à engager les poursuites pénales qui s’imposaient. Un arrêté interruptif des travaux a bien été pris mais immédiatement retiré à la demande du propriétaire, la procédure de contradiction préalable n’ayant pas été respectée.

La procédure judiciaire, sur la base du procès-verbal, n’a été lancée qu’avec le changement du maire de Saint-Briac, consécutivement à l’élection municipale de mars 2014. C’est alors que le CACE et l’ADICEE (association Dinard-Côte d’Emeraude Environnement) se sont joints à la procédure en se portant parties civiles.

Le jugement de première instance (tribunal correctionnel de Rennes, 12 janvier 2016) a confirmé les infractions constatées dans le procès-verbal et condamné le propriétaire à remettre en conformité la construction avec la déclaration préalable sur la base de laquelle ils ont été entrepris, sans toutefois remettre en cause le mur d’extension, au bénéfice du doute. Une amende dont le niveau était sans commune mesure avec la plus-value apportée illégitimement au bien considéré, a aussi été prononcée ; elle était plus encourageante que dissuasive pour le propriétaire, au regard des enjeux.

S’agissant du mur reconstruit pour l’extension d’habitation, le jugement a ordonné la suppression des ouvertures éclairant le nouvel espace habitable qu’il abrite mais pas sa remise en l’état antérieur (hauteur, alignement). L’espace excavé derrière et la surélévation de la terrasse en couverture à la place du sol pouvaient être maintenus de ce fait.

Le jugement n’a pas été exécuté, le propriétaire ayant fait appel.

Il a cependant tiré profit de ce jugement en ce qu’il n’ordonnait pas la remise en son état antérieur du mur neuf, pour faire entériner la terrasse qu’il a créée au-dessus et accroître davantage encore le volume de la construction : il a sollicité, début 2017, par déclaration préalable, l’autorisation d’édifier sur cette terrasse un préau (sous l’appellation réductrice d’ »auvent »), non fermé sur les côtés mais imposant (6 m de long en façade, 4,80 m au faîtage), face à la mer (cf. photo n° 6). Il a, de même, déposé plusieurs autres déclarations de travaux pour « régulariser », en plusieurs étapes, sa construction.

De manière surprenante, ces déclarations préalables ont reçu l’avis favorable de l’ABF (qui n’était plus le même que celui du début de la procédure) et la mairie de Saint-Briac n’a, semble-t-il, pas osé ou a jugé ne pas pouvoir s’y opposer pour ne pas ouvrir de nouveaux fronts avec ce propriétaire qui la harcèle sous les demandes d’autorisations d’urbanisme. L’on mesure ici combien les réformes récentes du code de l’urbanisme ont affaibli – sciemment – les autorités chargées de l’appliquer lorsqu’elles s’en soucient.
La déclaration préalable relative au préau a été acceptée le 4 avril 2017. L’on aurait pu quand même s’attendre à ce que l’administration s’oppose à ce nouveau développement très important du volume visible de la construction et réserve sa réponse jusqu’à l’issue de la procédure en appel concernant l’espace habitable sur lequel il prend place. En toute hypothèse, l’avis favorable de l’ABF sur la création de ce nouvel écran visuel dans ce paysage protégé est incompréhensible, d’autant plus que cet « auvent » sera très aisément et discrètement transformable un jour en espace habitable.
Ce nouvel accroissement de la construction a été réalisé au printemps 2019. A quoi faut-il s’attendre désormais, sur cette lancée qui a si bien réussi à ce propriétaire ? La transformation des avancées de la maison, déjà accrues, en vérandas, comme il l’avait prévu initialement ?
Au regard de certaines prescriptions, parfois de détails, auxquels doivent se conformer les pétitionnaires de permis de construire dans des secteurs beaucoup moins sensibles de la commune, l’on ne peut que s’interroger sur le rôle, la compétence et l’impartialité des administrations chargées du contrôle de l’urbanisme.

L’audience de la cour d’appel correctionnelle de Rennes s’est tenue le 3 juillet dernier. L’arrêt de la cour est annoncé pour le 2 octobre 2019. Il faut souhaiter qu’il confirme au principal le jugement argumenté et détaillé de premier instance mais qu’il soit plus rigoureux sur la suppression des surfaces habitables créées, en ordonnant surtout la suppression intégrale de celles-ci au sud-ouest, y compris, donc, la remise en état antérieur du mur neuf (niveau, alignement), pour que l’emprise visuelle de la construction soit réellement réduite à ce qu’elle était avant les travaux et que l’auvent édifié dessus soit supprimé. Dans l’hypothèse où la cour en déciderait ainsi, encore faudra-t-il que les administrations fassent exécuter la décision.
Ce sont, en tout cas, les conditions pour que l’on puisse considérer que les segments les plus précieux du littoral de Saint-Briac sont réellement « protégés » comme le veut la loi. En attendant, lorsque l’on compare les photos antérieures aux travaux et aux photos actuelles, le sentiment est, au contraire, que l’on peut y faire ce que l’on veut dès lors que l’on a du culot et des moyens financiers : les administrations chargées du contrôle de l’urbanisme (Etat, commune) se montrent modérément compétentes, ou naïves, ou complaisantes.

Photo n° 5 vue prise en 2017

Photo n° 5 : vue prise en 2017 ; à droite, le mur protégeant la villa Les Terrasses a été rehaussé, très probablement pour cacher la vue à partir de la nouvelle terrasse édifiée à La Batterie.

Photo n° 6 prise le 1er août 2019

Photo n° 6, prise le 1er août 2019 : la villa « La Batterie » avec l’ »auvent » récemment ajouté à droite…

Ces faits démontrent, une fois de plus, qu’en dépit des règles existantes et, aussi, en raison de l’affaiblissement du pouvoir des administrations chargées de les faire respecter, seule la détention de ces espaces exceptionnels en pleine propriété par un organisme public dont c’est la vocation (Conservatoire du littoral ou conseil départemental au titre des espaces naturels sensibles) peut garantir la conservation des paysages et leur préservation de l’urbanisation au bénéfice de tous. Sans doute va-t-il falloir envisager une telle solution pour ce site avant que son urbanisation sournoise se poursuive.

Le président du C.A.C.E.

Yves Colcombet

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