Saint-Briac et la Chouannerie, l’affaire de Macherel

Patrimoine

7 janvier 2021

Extraits de la revue « Le Pays de Saint-Briac »
n° 9 de 2020.

1794. La Bretagne est déchirée par la guerre des chouans. Une majorité de Bretons soutient, matériellement ou simplement moralement, la chouannerie. Une communication étroite s’établit entre « insurgés » et « émigrés », ces derniers principalement basés à Jersey. Assurer les liaisons (on disait la « correspondance »), amener aux chouans des renforts en officiers, armes et argent, ont donné lieu à un continuel va et vient de petits bateaux entre Jersey et la côte nord bretonne, embarquements discrets, débarquements clandestins.

La côte de Dinard au Cap Fréhel, avec ses nombreux abris de petite taille, se prête bien à ce trafic, et en particulier les anses de Saint-Briac. Par exemple, un bateau peut mouiller côté nord de l’île Agot, de nuit, à l’abri des regards, puis débarquer hommes et matériels en barque à la Garde ou au Perron. Ces mouvements ont obligé le district de Saint-Malo à organiser une étroite surveillance des côtes.

Le 7 décembre 1794, les administrateurs du district avisent le « Comité de Sureté générale » que le général de division Rey « parcourant les côtes de Port-Briac, y fit ce jour même rencontre d’émigrés, que le combat s’est engagé et qu’un des siens a été tué et deux autres blessés, bien que l’on n’ait arrêté personne. Cependant, on a découvert 40 à 50 barils de poudre et de 400 à 500000 livres de faux assignats… ». Le district se montre peu généreux en détails ! L’abbé et historien régional Auguste Lemasson (1878-1946) a pu réunir trois récits de ce qu’on a appelé depuis « l’affaire de Macherel ».

Revues Le Pays de Saint-Briac éditées par le C.A.C.E

Revues « Le Pays de Saint-Briac » éditées par le C.A.C.E

Le dimanche 7 décembre 1794 a lieu à Saint-Briac, vers deux heures du matin, un débarquement de plusieurs émigrés, conduits par le colonel chouan Dufour, originaire de Saint-Coulomb. Dufour est un habitué de ces traversées; il vient de faire deux fois le trajet Jersey-Saint-Briac en octobre et novembre, sans problèmes. Une fois débarqués, les hommes transportent leur cargaison de poudre et armes à la « maison de correspondance » habituelle, qu’ils connaissent bien, au lieu-dit Macherel où se trouvent deux maisons isolées. Mais les choses, cette fois, ne se passent pas bien !

La version Dufour :

Le premier récit est celui du colonel Dufour, qui a laissé une trace écrite des évènements, publiée tardivement en 1906, dans la « Revue du Pays d’Aleth ».

« …Nous étions restés trois hommes armés à la maison de correspondance. MM. Dezoteux, baron de Cormartin, major général de l’armée royale en Bretagne ; le chevalier de Busnel, colonel de l’armée chouanne de Rennes ; et moi-même. Avec nous se trouvaient le vicaire de la paroisse de Saint-Briac, Mr François Artur (curé ayant refusé de prêter serment en 1791, et resté clandestinement au village) et la veuve Briand, née Noël, avec sa jeune fille, en tout six personnes.
Environ les quatre heures du matin, nous nous disposions à manger, lorsque nous entendîmes autour de la maison des pas précipités. La porte du midi est forcée à l’instant et un soldat fait feu sur le chevalier de Busnel. Celui-ci riposte et tue le soldat presque à bout portant. J’étais masqué par le coin du lit-clos et j’allais tirer dans la même direction que le chevalier, lorsque la porte du nord est à son tour forcée et trois ou quatre coups de feu me sont adressés. Je riposte et un soldat tombe près des 29 barils de poudre. L’appartement était petit et n’avait pas plus de 50 m2, c’était une cuisine de campagne, éclairée par deux lumières placées sur la table où le général Cormartin écrivait (…). Un feu clair au foyer aurait encore facilité la vue, si la clarté n’avait pas été obscurcie par la fumée de nombreux coups de fusils tirés dans tous les sens (…). Je ne vois plus et ne sais plus ce que font mes camarades. Ma résolution est prise. Je me précipite vers la porte du midi où je remarque du désordre parmi les soldats. J’en tue un d’un coup de pistolet. Je me fraye un passage et je parviens dans la cour sans être blessé. Une sentinelle veut me barrer la route, je la tue, saute le fossé et cours aussi longtemps que mes forces me le permettent… »

Le colonel Dufour est recueilli, épuisé, par deux femmes, d’abord inquiètes, le prenant pour un brigand, à qui il raconte son histoire. Elles le conduisent à l’abri dans une maison voisine. C’est là que le lendemain, par les rumeurs circulant dans le village, il apprend que le chevalier de Busnel a été blessé, qu’il a pu s’enfuir, qu’il a lui aussi été sauvé par des femmes de Saint-Briac et récupéré par les chouans prévenus par les gens du village. Neuf soldats ont été tués, affirme Dufour. La veuve Briand et sa fille sont sauves, ainsi que le curé Artur (qui semble être parvenu à s’enfuir).

Ce récit est intéressant, mais sur quelques points difficile à croire ! Comment trois hommes, même armés, parviennent-ils à se sortir d’un tel assaut avec un seul blessé et autant de soldats tués ? Il met en tout cas en évidence l’aide apportée par les Briacins aux chouans, en cette occasion là, mais aussi certainement dans d’autres.

La version Rey :

Le général Rey (1768-1836), chevalier Antoine-Gabriel Rey, commande la division militaire de Saint-Malo. Il sera décoré de la croix de Saint-Louis par Louis XVIII en 1814 ! Il écrit un rapport des évènements de Macherel conservé dans les archives du Ministère des Armées :

« …Il existait dans une commune, située sur un petit port appelé Port-Briac, un point de ralliement pour ceux qui, dans de petits débarquements, arrivaient des îles de Jersey et Guernesey. Ils trouvaient un asile et des chefs leur donnaient des renseignements pour se joindre aux chouans. La correspondance partait de cet endroit et y arrivait ; enfin c’était un vrai foyer contre-révolution. Je suis parvenu à connaître les endroits où s’effectuaient les débarquements.

Aussitôt, j’ai fait cerner les maisons et les ai fait fouiller. A la faveur de l’obscurité de la nuit, les scélérats s’étaient échappés, mais avec tant de précipitations que nous avons saisi leurs correspondances, leurs faux assignats, qui leur sont envoyés également de Jersey. (…) Je fais des patrouilles et des courses continuelles sur la côte. J’espère, à force de surveillances et de soins déconcerter tous les projets de nos ennemis et garantir la côte des invasions et des débarquements… »

Rapport pour le moins succinct ! Bien loin du récit de Dufour. Pas question de soldat tué ni de combat réel puisque les insurgés ont pu prendre la fuite. Il est mentionné pourtant un mort dans la note du district. Le général Rey ne dévoile pas comment il a été informé de l’existence des maisons de Macherel. On sait qu’il envoyait dans les communes régulièrement des soldats déguisés en chouans pour dialoguer avec les villageois et trouver du renseignement. Il semble avoir obtenu l’information à l’occasion d’aveux d’un prêtre insermenté capturé lors d’un retour depuis Jersey et qui était passé à Macherel. Mais le général a laissé échapper un gibier de choix !

La veuve Briand est arrêtée et incarcérée à Saint-Malo (elle sera libérée à la fin de la guerre des chouans). Puis, quelques jours plus tard, deux autres Briacins sont arrêtés comme complices : Marie Lemoine, propriétaire d’une des maisons de Macherel (pour recel de brigands et de barils de poudre) et Etienne Noël (pour s’être vanté d’avoir approvisionné en cidre les émigrés débarqués). Le curé Artur a disparu, probablement caché dans une autre maison. Le butin n’est finalement que de 29 barils de poudre,  98000 livres de faux assignats et quelques pièces d’or.

Le récit de Crétineau-Joly :

Jacques-Auguste Cretineau-Joly (1803-1875) est un historien spécialiste des guerres de Vendée et de la chouannerie, auteur de plusieurs ouvrages, dont « Histoire de la Vendée Militaire ». Dans le tome III il évoque l’incident de Macherel.

C’est lui qui identifie l’abbé Paul Maignan, ancien curé insermenté exilé, capturé lors d’un retour de Jersey en septembre 1794, comme étant probablement celui qui, emprisonné à Rennes, a fourni de nombreuses informations aux révolutionnaires, dont les maisons de Macherel. Et pour l’historien, qui ne connaissait sans doute pas le récit de Dufour, il y a bien eu combat :

« …Contre la maison des Lemoine est organisé un siège en règle. De l’intérieur, sept ou huit hommes, sous la direction du chevalier de Busnel, se battent désespérément, blessent quatre grenadiers, passent sur le corps d’une sentinelle, et prennent la fuite, abandonnant 29 barils de poudre, 98000 livres d’assignats, 40 pièces d’or de 25 livres et 34 écus de 6 livres… ».

Ce récit confirme un soldat tué et quelques blessés, ce qui va dans le sens de la note des administrateurs du district. Il semble difficile de croire aux neufs tués annoncés par Dufour. Et l’assaut dut être bref, les chouans ayant pu fuir rapidement.

Mais l’histoire de l’affaire de Macherel n’est pas terminée.

Dans la nuit du 30 au 31 décembre 1794 a lieu sur la côte briacine un nouveau débarquement en provenance de Jersey, sous la conduite de Noêl Prigent, ancien boutiquier à Saint-Malo et maître d’œuvre de la correspondance entre l’état-major chouan et les émigrés. Le groupe marche jusqu’à Macherel, comme d’habitude, et trouve porte close. Désemparé et se doutant de quelque chose de fâcheux, il décide de retourner vers le rivage. C’est là qu’il est intercepté par une patrouille de la garde briacine ; quatre hommes sont faits prisonniers, dont Noël Prigent et Michel Briand (marin briacin auquel appartient le bateau). Prigent est une grosse prise.

Les quatre prisonniers sont conduits le 2 janvier à Port-Malo ; un courrier du maire briacin, Joseph Joulain, précise : « …Vous voudrez bien, de concert avec le général Rey, examiner le portefeuille de Prigent et nous dire si nous devons vous envoyer les deux filles Marie Even et Anne Foucaud (dont les noms figurent sur une lettre de Prigent) ou sinon les remettre en liberté. Les quatre prisonniers ci-dessus dénommés viennent de nous déclarer qu’aussitôt ayant été mis à terre, ils ont été à Macherel  pour trouver la mère de François Briand et que, ne l’ayant pas trouvée, ils avaient été frapper à la porte des maisons du village voisin de la Ville Boté, mais qu’on n’avait pas voulu leur ouvrir… ».

Le 3 janvier 1795, le directoire de Port-Malo prend la délibération suivante :

« …L’administration a pris connaissance des interrogatoires et déclarations reçues de Prigent, la nuit dernière, et qui vont être continués ce jour, d’après quoi elle a arrêté, sur les déclarations de l’agent national (le maire briacin) : nous savons combien il est difficile, même avec les forces de terre, d’empêcher la nuit les bateaux de mettre à terre ; mais on ne peut se dissimuler que si nos forces de mer mettaient de l’activité dans le service de nuit, on parviendrait tôt ou tard à intercepter leurs bateaux. Le jour, ils se rendent sur les îles de Chausey et des Minquiers, et le soir ils viennent sur nos côtes. Ces îles devraient toujours être gardées et des bateaux armés devraient croiser continuellement pendant la nuit lorsque le temps le permet. Il faudrait en outre au moins une ou deux compagnies dans les communes de la côte et celles suspectes de l’intérieur, qui feraient des patrouilles continuelles la nuit ; mais nous sommes sans force. Vous savez qu’il existe déjà des rassemblements dans les environs de Lamballe ; soyez certains que ces scélérats communiquent avec la Vendée, les émigrés et l’Angleterre. Au nom de la Patrie, prenez notre pays en considération… »

Prigent, responsable des communications entre émigrés et chouans, donna au district de Saint-Malo, pour échapper à l’échafaud, une grande masse de renseignements sur l’organisation de ces communications en région malouine. La seule mesure prise fut d’ordonner aux bateaux pêcheurs et de cabotage côtier de ne plus sortir la nuit et de désarmer chaque soir leurs barques (gouvernail, voiles, avirons), sous le contrôle du syndic maritime !

Marie Even et Anne Foucaud furent emprisonnées à Port-Malo et ne furent libérées qu’à la fin du printemps 1795. Leur implication réelle nous est inconnue.

Ainsi se termine « l’affaire de Macherel » ; l’endroit ne fera plus parler de lui jusqu’à la fin de la Révolution.

Bernard de Coux

Sources : médiathèque de Dinan, fond Lemasson.

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